Par Anton Molina, Partner et
Yannick Augrandenis, Directeur associé
Il n’est plus possible de développer l’activité de l’entreprise sans l’engager dans une co-évolution sociétale et culturelle. Nous entrons dans l’ère de la communication d’engagement.
La sélection naturelle s’étend désormais au monde de l’entreprise. La course à l’innovation, dans un environnement de concurrence exacerbée et mondialisée et où les « petits » peuvent menacer les « rentes » des géants, place chaque acteur en tension permanente pour évoluer. Parallèlement, citoyens et consommateurs questionnent, à juste titre, les entreprises directement, se structurent en communautés, interagissent de plus en plus fortement avec elles en portant des exigences puissantes et nouvelles, notamment sur les questions de sécurité, de responsabilité environnementale, sur le patriotisme fiscal, social voire même sur leur légitimité à continuer à exister. Les travaux de Darwin et plus récemment de Pick nous éclairent avec acuité sur ce nouvel environnement : « toutes les espèces qui se sont retrouvées isolées des grands systèmes écologiques complexes ont fini par disparaître ». Les entreprises, les décideurs et dirigeants ne peuvent plus se contenter d'influencer les sphères publiques et médiatiques en espérant, par ces seules deux actions, s'attirer la bienveillance nécessaire à la pratique de leurs activités. Dans un univers où la sélection naturelle est loi, entreprises, décideurs, engagez-vous et engagez votre environnement pour le faire évoluer et évoluer avec lui, ou bien acceptez de disparaître !
Il s’agit d’engager l’entreprise dans une co-évolution sociétale et culturelle. Nous sommes entrés dans l’ère de la communication d’engagement. La communication d’engagement, c’est percevoir les changements, les attentes, voire anticiper les mouvements à venir et définir les évolutions défensives et offensives à engager. Il n'est plus possible de développer l’activité de l’entreprise sans obtenir ce que les anglo-saxons appellent la "licence to operate", ce qui peut se traduire par la "légitimité sociétale à opérer un marché" ou encore par un "permis sociétal d'agir". Pour opérer une activité commerciale, il est naturellement nécessaire d’obtenir un "permis légal" (droit du commerce, etc.) mais il est stratégique et vital de rechercher ce nouveau permis, cette nouvelle légitimité. Sans "licence to operate", pas de bienveillance des citoyens, des leaders d'opinion ni des décideurs publics dans nos démocraties. Général Electric l’a parfaitement comprise : l’entreprise américaine a obtenu l’aval explicite des autorités publiques et implicite de l’opinion afin d’intégrer le fleuron national Alstom en s’engageant à créer 1000 emplois nets et en démontrant le potentiel de son projet à créer de l’activité à partir de la France.
L'entreprise, comme chaque individu ou groupe d'individus, évolue aussi au coeur de "batailles culturelles" comme l'a conceptualisé au début du siècle dernier, le penseur marxiste Antonio Gramsci. C'est à dire de combats d'idées, de luttes culturelles entre des pensées, des perceptions, des approches idéologiques majoritaires qui s'imposent à elle lorsque sa vision se trouve partagée par une petite minorité seulement. L'entreprise se doit d’y participer, d'entraîner, d'engager toutes ses communautés bien sûr. Mais bien au-delà désormais. Il s'agit d'investir le débat partout où il s’initie. D'organiser la résonance de sa vision et valoriser ses contributions. Et ce pour façonner l’opinion et l'esprit public, dépasser les a-prioris, voire fédérer une communauté d'intérêts convergents.
La communication d'engagement se doit de fourbir ses armes pour convaincre les leaders d'opinion. Mais elle se doit plus largement de transformer l'indifférent en supporter, de créer un consentement là ou il n'y en a pas, de réconcilier l'entreprise et ceux qui s'en détachent, voire l'accusent (clients, salariés, citoyens, actionnaires...), de transformer un retweet en un prochain commentaire favorable, de convaincre les commentateurs, les acteurs et spectateurs, de susciter l'enthousiasme pour faire évoluer les perceptions de la société. Ainsi, entre 2010 et 2012, la collectivité des entreprises a livré une intense bataille, pourtant annoncée « perdue d’avance » par nombre d’observateurs, pour la compétitivité de l’économie française. La campagne a été menée à coup d’études indépendantes, de benchmarck, de lanceurs d’alerte mais aussi de luttes sémantiques en imposant progressivement le remplacement dans les médias et sur les réseaux du terme de « cotisations sociales » par celui de « charges sociales ». Difficile en effet de réduire des cotisations, mais c’est une tout autre histoire que d’alléger des charges. La pensée minoritaire a fait place au consensus et la bataille a été remportée avec l’avénement du CICE et dans son élan celui du Pacte de compétitivité qui monte en puissance encore aujourd’hui. Chaque acteur a ses batailles à livrer. Les taxis évidement doivent dorénavant justifier de leur utilité voire se réinventer. Mais aussi Uber comme d’autres entreprises de l’économie du partage - qui ont certes su convaincre les consommateurs de la pertinence de leurs services – ont désormais pour lourde tâche de convaincre de l’intérêt pour la collectivité de leur modèle économique et social.
La question n’est déjà plus de savoir s’il faut s’engager, mais bien avec qui mener campagne d’engagement ? Il est temps de compter ses troupes et de se mettre en ordre de bataille.